Droits d’auteur

Les droits d’auteur
La lutte contre le téléchargement illégal a fait
largement connaître la problématique du droit
d’auteur sur Internet et a reposé la question de
l’équilibre entre les intérêts des auteurs, de leurs
producteurs et du public.
L’informatique donne à chacun la capacité de recopier
un contenu à l’identique en quantité illimitée.
Quelles sont les conséquences sur la rémunération
des auteurs de ces contenus ? Quelles sont les
limites à respecter ?
À l’origine de la propriété
intellectuelle
Tout travail mérite salaire. Il est souhaitable que
celui qui crée une oeuvre ou une invention puisse
en tirer des bénéfices et que la reproduction et
l’exploitation de cette création soient encadrées.
L’hypothèse de départ, pragmatique, est que sans
l’incitation que constitue l’espoir d’une récom120
•Loi et Internet
pense, l’auteur d’une création n’aurait pas fait l’effort de
mener celle-ci à son terme. Et même si un artiste peut créer
pour le plaisir (encore qu’il doive tout de même gagner sa vie,
lui aussi), il va de soi que les éditeurs, imprimeurs et distributeurs
ne vont pas travailler gratuitement. Le principe de légitime
rétribution de ceux qui ont contribué à créer et à faire
connaître une oeuvre matérialise le respect de leur travail.
Le droit de propriété intellectuelle n’est toutefois pas absolu.
La loi va instaurer un équilibre entre les droits de l’auteur et
ceux du public.
La propriété intellectuelle sur une oeuvre ou sur un produit
consacre les droits de son créateur à contrôler l’exploitation
qui en est faite et à jouir des revenus de celle-ci. Cette propriété
peut prendre plusieurs formes :
• la propriété littéraire et artistique, pour les oeuvres de l’esprit
(littérature, sculpture, peinture, musique…), leur reproduction
et leur interprétation éventuelle ;
• les logiciels et bases de données ;
• la propriété industrielle, qui recouvre les marques, logos,
secrets de fabrication, brevets, dessins et modèles, etc.
Un internaute qui souhaite publier des photos, des textes, des
images, télécharger ou mettre en ligne des vidéos ou des
musiques, copier ou utiliser un logiciel, ou utiliser une base de
données, peut le faire en respectant les règles de la propriété
intellectuelle.
Les différents droits, les procédures à suivre pour les assurer et
les sanctions en cas d’infraction, font l’objet du Code de la
propriété intellectuelle (CPI).
Les droits d’auteur • 121
Propriété littéraire et artistique :
encadrement de la reproduction
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que « l’auteur
d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa
création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et
opposable à tous. »
Notons qu’aucun dépôt ni aucune formalité ne sont
nécessaires : le seul acte de création suffit à établir les droits de
son auteur.
Ce droit est incorporel car il n’est pas lié à la possession de
l’objet matériel (par exemple : sculpture ou tableau) : par le
seul fait d’avoir créé l’oeuvre, et même s’il l’a vendue, le créateur
jouit de différents droits :
• droits moraux de divulgation, d’opposition à une modification
de l’oeuvre, d’y attacher son nom ;
• droits patrimoniaux d’exploitation (représentation et reproduction
de l’oeuvre).
Qui est concerné ?
L’article L112-2 du CPI prévoit que « sont considérés notamment comme oeuvres de
l’esprit :
1° les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ;
2° les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres oeuvres de même nature ;
3° les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;
4° les oeuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la
mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ;
5° les compositions musicales avec ou sans paroles ;
6° les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées
d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles ;
7° les oeuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de
lithographie ;
122 •Loi et Internet
Droit d’auteur sur une photo
Le 20 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Paris
a précisé les conditions nécessaires pour qu’une photo soit
protégée par le droit d’auteur. Le tribunal a rappelé qu’« une
photographie n’est protégeable par le droit de la propriété
intellectuelle que dans la mesure où elle procède d’un effort
créatif et qu’elle ne vise pas seulement à reproduire de la
manière la plus fidèle possible un objet préexistant. » Une
photographie banale n’est pas protégeable ; pour revendiquer
la qualité d’auteur, le photographe doit avoir opéré des « choix
[techniques] personnels en vue de produire un effet
particulier ». Par ailleurs, une fois qu’il est établi qu’une photo
est protégée par le droit d’auteur, la personne revendiquant ce
droit doit apporter la preuve qu’elle en est bien l’auteur. Dans
ce cas précis, le tribunal a jugé que le fait de publier une photo
sur un site web ne permet pas de présumer qu’on en est
l’auteur, si on ne l’avait pas explicitement précisé au moment
de la mise en ligne.
8° les oeuvres graphiques et typographiques ;
9° les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la
photographie ;
10° les oeuvres des arts appliqués ;
11° les illustrations, les cartes géographiques ;
12° les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à
l’architecture et aux sciences ;
13° les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;
14° les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. »
Cette liste n’est pas limitative : en effet, le CPI protège « toutes les oeuvres de l’esprit,
quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination »
(article L112-1).
Les traductions sont également protégées, ainsi que les anthologies (article L112-3).
Les droits d’auteur • 123
Droit d’auteur sur un tableau
Le propriétaire d’un tableau n’a pas le droit de le reproduire
sur son site internet ou sur des objets publicitaires sans l’autorisation
de l’auteur. En effet, ce dernier a cédé l’oeuvre, mais
pas les droits incorporels de reproduction ou de modification.
Le tribunal de grande instance de Paris a ainsi condamné le
21 juin 2013 une société à payer 3 500 € de dommages (plus
2 000 € de remboursement des frais de justice) au peintre à qui
elle avait acheté un tableau qu’elle avait par la suite utilisé pour
décorer sa boutique, son véhicule utilitaire, ses objets publicitaires
et son site web.
Les droits de divulgation et d’exploitation
Les droits moraux de l’auteur
Les droits moraux visent à assurer le contrôle de l’auteur sur
l’oeuvre qu’il a créée.
L’auteur jouit du droit de divulgation : lui seul a le droit de
divulguer son oeuvre, de déterminer les procédés de divulgation
et les conditions de celle-ci.
Il est également maître du respect de l’oeuvre : il peut
s’opposer à toute dénaturation de son oeuvre (par exemple, un
architecte peut refuser une modification d’un bâtiment dont il
est l’auteur). Il peut exiger que son nom soit attaché à l’oeuvre.
Ces droits moraux sont incessibles ; l’auteur en jouit jusqu’à sa
mort. Après sa mort, son nom reste attaché à l’oeuvre.
Les droits patrimoniaux
Les droits patrimoniaux visent à rétribuer l’effort de création.
Ils sont cessibles : l’auteur peut les transférer gratuitement ou
contre rétribution, avec ou sans exclusivité. Ces droits sont
transmis aux héritiers de l’auteur pendant 70 ans après sa
mort.
124 •Loi et Internet
L’auteur jouit d’un droit d’exploitation qui comprend le droit
de représentation et le droit de reproduction (article L122-1) :
• La représentation consiste dans la communication de
l’oeuvre au public par un procédé quelconque (y compris
donc en insérant cette oeuvre sur une page web ou en la
proposant en téléchargement).
• La reproduction consiste à créer des copies matérielles de
l’oeuvre, quel que soit le procédé. Elle peut s’effectuer
notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie,
moulage et par tout procédé d’enregistrement (sur disque
dur, DVD, clé USB, iPod…).
Les droits voisins
Dans le cas des chansons ou des films, les acteurs, artistes,
interprètes et producteurs, qui sont des auxiliaires de la création,
bénéficient de droits similaires à ceux des auteurs,
notamment en ce qui concerne les droits de reproduction et
de représentation. Les interprètes jouissent également du droit
moral sur leur prestation (droit au respect de son nom par
exemple).
Les exceptions
Le public dispose toutefois d’un certain nombre de possibilités
d’utiliser une oeuvre sans l’accord de l’auteur ou sans rétribution.
Ainsi, l’auteur ne peut pas interdire un certain nombre
d’utilisations de son oeuvre une fois qu’elle a été divulguée
(article L122-5).
Notamment, il ne peut pas interdire les représentations privées
et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de
famille.
Est autorisée la célèbre copie privée, c’est-à-dire les copies ou
reproductions réalisées à partir d’une source licite, strictement
réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective. Notons bien que la source doit être licite :
Les droits d’auteur • 125
il ne s’agit pas d’une autorisation de télécharger puis de copier
une oeuvre sans régler les droits afférents, même pour son
usage privé.
Sont également autorisées, sous réserve que soient indiqués
clairement le nom de l’auteur et la source :
• les analyses et courtes citations, si elles sont justifiées par le
caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou
d’information du support où elles sont publiées ;
• les revues de presse ;
• la diffusion, même intégrale, à titre d’information d’actualité,
des discours destinés au public prononcés dans les
assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques,
ainsi que dans les réunions publiques d’ordre politique
et les cérémonies officielles ;
• dans le cadre de l’exception d’enseignement, la représentation
ou la reproduction d’extraits d’oeuvres, à des fins exclusives
d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la
recherche, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative,
dès lors que le public auquel cette représentation ou
cette reproduction est destinée est composé majoritairement
d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs
directement concernés.
Par ailleurs, la parodie, le pastiche et la caricature sont autorisés
dans les limites des lois du genre. La Cour d’appel de
Paris a rappelé le 18 février 2011 que cette exception
« suppose à la fois une référence non équivoque à l’oeuvre
parodiée et une distanciation recherchée qui vise à travestir ou
à subvertir l’oeuvre dans une forme humoristique, avec le dessein
de moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou
sourire ; que ne peuvent alors relever de l’exception de
parodie les oeuvres qui empruntent les ressorts d’oeuvres premières
pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre
ainsi de leur rayonnement ». L’exception de parodie suppose
donc à la fois une intention de faire rire et une distanciation
126 •Loi et Internet
suffisante par rapport à l’oeuvre originale pour éviter toute
confusion auprès du public.
Licences, logiciels et données libres
Une licence libre est une modalité selon laquelle l’auteur
d’une oeuvre de l’esprit concède aux utilisateurs tout ou partie
de ses droits d’auteur, notamment les droits de modification,
de diffusion et de réutilisation. Cette cession peut être soumise
à des conditions, comme la mention obligatoire du nom
de l’auteur, l’interdiction d’un usage commercial, ou l’application
du même type de licence aux oeuvres dérivées.
Par confusion sur le terme anglais free, on assimile souvent
licence libre et licence gratuite. Ce n’est pourtant pas systématique,
une oeuvre sous licence libre permettant la modification
peut très bien ne pas être gratuite.
Il existe plusieurs types de licences libres. Citons notamment
les Creative Commons, plutôt pour les oeuvres littéraires et
multimédias, et les licences GNU (GPL) pour les logiciels.
Pour les données publiques, détenues par les administrations,
se développe depuis plusieurs années un mouvement d’open
data qui consiste à proposer ces données en libre accès, pour
une libre réutilisation sans restriction technique, juridique ni
financière. L’objectif est de favoriser l’innovation et la création
à partir de ces données pour créer de nouveaux services ou
améliorer les services existants.
Les copies transitoires
La reproduction d’une oeuvre sur Internet nécessite évidemment des copies transitoires
sur le réseau ou dans les mémoires vives des ordinateurs. Ces copies techniques provisoires
sont autorisées si elles sont indispensables à l’utilisation licite de l’oeuvre ou à sa
transmission sur le réseau, tant qu’elles n’ont pas de valeur économique propre.
Cette exception n’est toutefois pas valable pour les logiciels et les bases de données.
Les droits d’auteur • 127
Pour les logiciels, l’open source autorise à redistribuer le logiciel
ou à en créer des produits dérivés, et surtout donne accès
au code source pour l’analyser et le modifier (à la différence
des logiciels propriétaires). Cet accès au code source est un
garant de sécurité (on peut vérifier qu’il n’y a pas d’erreur, de
faille ou de trappe dans le logiciel) et de qualité.
Condamnation pour concurrence déloyale via
une revue de presse
Concernant les revues de presse, la Cour d’appel de Paris a
condamné le 9 novembre 2012 à 50 000 euros de dommagesintérêts
et 6 000 euros de frais la société The Web Family de
Jean-Marc Morandini, pour concurrence déloyale au détriment
du site web de l’hebdomadaire Le Point, dont elle reprenait
textuellement les brèves sur son propre site. The Web
ZOOM Les données généalogiques
Parmi les données publiques, les données généalogiques font l’objet de nombreuses
convoitises. En effet, des sociétés spécialisées collectent les données de l’état civil pour les
revendre aux passionnés de généalogie. Se pose alors la question de la légitimité de
l’accès aux données publiques : est-il normal qu’une collectivité investisse dans la numérisation
de ses données, pour qu’ensuite des sociétés privées les récupèrent gratuitement
puis les revendent ? Les collectivités locales sont donc réticentes à les communiquer. Le
31 janvier 2013, le tribunal administratif de Poitiers a validé le refus du département de
la Vienne de céder ses archives numérisées à la société Notrefamille.com (gestionnaire du
site genealogie.com), en se fondant sur la protection des bases de données prévue à
l’article L112-3 du Code de la propriété intellectuelle. Le 4 juillet 2012, la Cour administrative
d’appel de Lyon avait approuvé le refus du département du Cantal de fournir ses
données à Notrefamille.com, car il s’agit de données personnelles et les exigences de la loi
Informatique et Libertés (notamment la sécurité des données et l’interdiction de leur
transfert à l’étranger) n’étaient pas respectées par cette société. En revanche, la Cour
administrative d’appel de Nancy a le 18 avril 2013 fait injonction au département de la
Moselle de proposer à Notrefamille.com un accès à ses archives non numérisées, éventuellement
aux frais du demandeur.
128 •Loi et Internet
Family s’appropriait ainsi sans investissement de sa part les
revenus publicitaires liés aux lecteurs de ces brèves, revenus
qui auraient dû revenir au Point. Le fait que The Web Family
citait sa source ne l’autorisait pas pour autant à reproduire systématiquement
le travail d’autrui.
Notons enfin que la Cour n’a pas reconnu au Point dans ce
dossier la propriété des droits d’auteur sur les brèves, celles-ci,
longues de quelques lignes seulement, ne témoignant pas
« d’un véritable effort créatif », ce qui entraînait que ces textes
ne pouvaient être protégés par le droit d’auteur. Cet arrêt rappelle
que si la loi autorise les revues de presse, celles-ci ne
doivent pas pour autant devenir le support d’une véritable
concurrence aux auteurs des articles originaux.
Condamnation pour contrefaçon de dessins de Tintin
Le 11 juin 2004, le tribunal de grande instance de Paris,
jugeant en référé, a estimé qu’un site publiant à la fois des
parodies des aventures de Tintin et des reprises des personnages
de la bande dessinée, sans travestissement quelconque,
sur des produits tels que cartes de voeux ou billets de banque
imaginaires, était en raison de ces dernières susceptible de
constituer une contrefaçon et donc un trouble manifestement
illicite. Les parodies publiées sur le site, en revanche, étaient
bien autorisées par l’exception de parodie. Le site ayant déjà
été fermé par son éditeur, le juge a condamné ce dernier à
verser aux ayants-droits d’Hergé une provision de 1 500 euros
sur les dommages-intérêts à déterminer lors du jugement sur
le fond et 2 000 euros de remboursement des frais de justice.
Lourde condamnation pour mise à disposition de
musique sans autorisation
La Cour de cassation a validé le 25 septembre 2012 la
condamnation des responsables de Radioblogclub. Ce site
mettait à disposition des internautes de la musique gratuite en
Les droits d’auteur • 129
streaming, sans payer les droits d’auteur correspondants. Les
responsables ont été condamnés à 9 mois de prison avec sursis
et à 10 000 € d’amende. Ils devront verser 1 089 755 € de
dommages-intérêts aux sociétés d’auteurs, somme correspondant
aux gains qu’ils avaient engrangés grâce à la publicité sur
leur site. Le tribunal a également ordonné la fermeture définitive
de leur société.
Lourde condamnation pour reproduction non autorisée
de photos et de catalogues
Le 26 juin 2013, la Cour d’appel de Paris a condamné la
société d’information sur le marché de l’art Artprice à verser
près d’un million d’euros de dommages et intérêts à une
société de vente aux enchères dont elle avait reproduit sans
autorisation sur son site les catalogues (contrefaçon), ainsi qu’à
un photographe dont elle avait mis en ligne les clichés (contrefaçon)
sans indiquer le nom de l’auteur (atteinte à son droit à
la paternité sur ses oeuvres et à son droit à leur intégrité). Le
montant élevé des dommages s’explique par le bénéfice économique
retiré par Artprice, qui vend ses bases de données à
ses abonnés.
Les DRM, les téléchargements illégaux et
HADOPI
Le numérique permet à chacun de reproduire à l’infini des
oeuvres (livres, musiques, images, audiovisuel, jeux vidéo…),
sans perte de qualité, et sans contrôle ni rétribution de
l’auteur. Pour assurer le respect des droits patrimoniaux de
l’auteur, plusieurs mesures ont été adoptées sous la pression
des sociétés de gestion de droits et des gestionnaires de portefeuilles
d’oeuvres.
130 •Loi et Internet
L’encadrement de la copie privée
On a vu qu’était autorisée la copie privée d’une oeuvre, à
partir d’une source licite, pour l’usage privé du copiste. Avant
la généralisation du numérique, cette copie privée pouvait
prendre la forme d’une photocopie d’un livre, d’une cassette
magnétique de sauvegarde d’un disque vinyle, ou d’une compilation
personnelle sur cassette de morceaux de musique
figurant sur plusieurs cassettes du commerce.
En numérique, il est par exemple licite de copier sur son iPod
les morceaux qu’on a achetés ou téléchargés légalement.
Pour compenser le manque à gagner subi par les auteurs du
fait de cette copie privée, une redevance forfaitaire de copie
privée a été instituée sur tous les supports mémoire : CD,
DVD, disques durs, baladeurs, clés USB, smartphones, box
internet… Le barème de cette redevance est fixé pour chaque
type de support par une Commission.
La redevance de copie privée vise tous les supports, qu’ils
servent effectivement à de la copie privée ou pas. Les entreprises
y sont ainsi assujetties pour leurs disques durs, alors
qu’a priori aucune copie privée d’oeuvre n’est censée se
trouver dans des disques durs d’entreprise ! Toutefois, dans un
arrêt du 21 octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne
a précisé que la redevance de copie privée ne devait
pas s’appliquer aux équipements et supports d’enregistrement
« non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement
réservés à des usages autres que la réalisation de copies à
usage privé ». En particulier, les entreprises doivent donc pouvoir
se faire rembourser la redevance sur les équipements
qu’elles achètent.
Les droits d’auteur • 131
Les DRM
On appelle DRM (Digital Rights Management – Gestion des
droits numériques) des mesures techniques destinées à empêcher
ou à limiter les utilisations non autorisées d’une oeuvre,
comme les copies abusives. On trouve ces dispositifs sur les
CD, DVD, jeux vidéos… (article L331-5 du CPI).
Les DRM ne doivent pas empêcher l’utilisation normale de
l’oeuvre ni l’interopérabilité, c’est-à-dire sa lecture sur tous les
types d’appareils.
Si dans le principe, les DRM ne sont pas censées s’opposer au
droit à la copie privée, le CPI précise que les limitations susceptibles
d’être apportées à ce droit par les DRM doivent être
portées à la connaissance de l’utilisateur. C’est ainsi que les
DÉBAT Les barèmes
Les tarifs de la redevance pour copie privée sont plus élevés en France que dans les
autres pays européens. Du coup, un même support mémoire, un disque dur par
exemple, peut être vendu moins cher à l’étranger qu’en France. Les clients ont alors tendance
à commander leurs supports mémoire chez des distributeurs situés hors du territoire
national. Les distributeurs français se plaignent d’être ainsi défavorisés par des
tarifs excessifs et de subir une distorsion de concurrence. En effet, la perception de la
redevance par la douane lors du passage de la frontière, qui devrait rétablir l’égalité,
n’est en pratique pas mise en oeuvre.
DÉBAT Les clés du Blu-Ray
En 2012, les développeurs du lecteur multimédia français en logiciel libre VLC ont saisi
l’HADOPI afin d’obtenir de Sony, au nom du droit à l’interopérabilité, les clés de chiffrement
permettant de lire les disques Blu-Ray dont l’industriel est l’inventeur. Faute de ces
clés, le lecteur VLC ne peut pas lire les Blu-Ray.
132 •Loi et Internet
CD, DVD et jeux vidéo portent souvent sur leur jaquette la
mention d’un dispositif anti-copie.
Toutefois, la Cour de cassation a précisé le 19 juin 2008 dans
son arrêt « Mulholland Drive » que « la copie privée ne
constitue pas un droit mais une exception » et qu’on ne pouvait
exiger son application.
Les mesures pénales
Le Code de la propriété intellectuelle punit sévèrement les
atteintes aux oeuvres protégées. Ainsi, l’article L335-2-1 punit
de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende
le fait d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer
au public, un logiciel manifestement destiné à la
mise à disposition non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés,
ou de faire la publicité d’un tel logiciel.
Par ailleurs, l’article L335-3-1 punit de 3 750 euros d’amende
le fait de contourner ou de supprimer un DRM sans usage
d’un dispositif technologique spécialement adapté à cette fin.
L’utilisation d’un dispositif spécifique, sa simple détention, sa
mise à disposition d’autrui ou la publicité en sa faveur, sont
punis de six mois d’emprisonnement et de 30 000 euros
d’amende.
Ces dispositions ne sont pas applicables si les faits ont eu lieu
dans le cadre de la recherche ou de la sécurité informatique.
DÉBAT Les contradictions du dispositif
On aboutit ainsi à une interdiction de facto de la copie privée du fait des DRM, tandis que
dans le même temps, non seulement la redevance pour copie privée sur les supports
mémoire est maintenue, mais son champ est étendu à de nouveaux supports et son
barème augmente ! L’utilisateur paye ainsi de plus en plus cher une copie privée qu’on
l’empêche d’exercer.
Les droits d’auteur • 133
Le téléchargement illégal et HADOPI
Pour lutter contre le téléchargement d’oeuvres sans s’acquitter
des droits d’auteur correspondants (ce qui constitue une
contrefaçon au sens du CPI), le gouvernement français a instauré
en 2009 une obligation pour l’abonné à Internet de
veiller à ce qu’aucune contrefaçon d’oeuvre ne soit effectuée à
partir de son accès Internet. Une autorité administrative indépendante,
la HADOPI (Haute autorité pour la diffusion des
oeuvres et la protection des droits sur Internet), a été créée
pour sanctionner les infractions à cette obligation.
JURISPRUDENCE
Comme nous l’avons vu, la Cour de cassation a validé le 25 septembre 2012 la condamnation
des responsables du site Radioblogclub. Ce site mettait à disposition des internautes
de la musique gratuite en streaming, via un logiciel permettant de créer une liste
de lecture. Les responsables ont été condamnés à 9 mois de prison avec sursis et à
10 000 € d’amende.
DROIT Les autorités administratives indépendantes
L’évolution de la législation à la fin des années 1970 a vu l’apparition d’une innovation
juridique avec la création des autorités administratives indépendantes (AAI). Ces autorités
ont chacune la mission de réguler un secteur bien défini. Leur indépendance doit leur
apporter à la fois une autorité face aux différents acteurs, puisqu’il n’est pas possible de
tenter de faire pression sur elles au travers d’une administration, et également la capacité
de s’opposer éventuellement à l’État. Cette prérogative constitue donc un enjeu
essentiel de leur statut. La Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL), créée
par la loi Informatique et Libertés de 1978 comme l’organe régulateur pour la protection
des données personnelles, est historiquement la première des autorités administratives
indépendantes. Dans ce cas particulier, le choix de l’indépendance du régulateur provenait
également d’une méfiance à l’égard de l’État.
134 •Loi et Internet
La HADOPI a pour missions de promouvoir l’offre légale
d’oeuvres sur Internet, de lutter contre le téléchargement
illégal ou la mise à disposition illégale et de réguler les DRM.
Lorsque la HADOPI est informée par les ayants-droit
(sociétés de collecte des droits d’auteurs ou détenteurs de
catalogues d’oeuvres) de possibles infractions correspondant à
certaines adresses IP, elle entame un mécanisme de réponse
graduée.
DÉTAIL Le peer-to-peer (P2P) et le streaming
La loi de 2009 ne vise que la contrefaçon par peer-to-peer (P2P), c’est-à-dire via des
logiciels spéciaux permettant la mise à disposition, le téléchargement et le partage de
fichiers. Notons que le peer-to-peer peut être parfaitement légal s’il vise à partager des
fichiers dont l’internaute détient les droits. En revanche, son utilisation pour partager des
fichiers sans payer les droits correspondants est réprimée. Ce n’est donc pas la technologie
du P2P en tant que telle qui est visée, mais l’usage qui en est fait.
La loi ne vise pas les autres technologies, comme le streaming, utilisé par YouTube ou
Dailymotion pour visionner des films sans les télécharger. La HADOPI ne peut donc pas
sanctionner le visionnage illicite d’oeuvres par streaming.
Toutefois, dans son arrêt du 7 mars 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a
précisé que, s’agissant d’un programme de télévision, la retransmission en streaming
nécessite « l’autorisation des auteurs des oeuvres retransmises lorsque celles-ci sont communiquées
au public ».
R F. Le Fessant, Peer-to-peer, Eyrolles, 2006
TECHNIQUE L’adresse IP
L’adresse IP (Internet Protocol) est le numéro, unique au monde, sous lequel un ordinateur
est relié à Internet. Ce numéro permet de le reconnaître sur la toile et de s’y connecter.
L’adresse IP contient une indication de la zone géographique de l’ordinateur : la première
partie de cette adresse désigne le réseau, la seconde repère le client sur ce réseau.
Les droits d’auteur • 135
Ce mécanisme de réponse graduée est le suivant :
• Lors du premier acte de téléchargement ou de mise à disposition
signalé, la HADOPI envoie un courriel au titulaire de
l’abonnement pour lui rappeler son obligation de veiller à ce
que son accès ne serve pas à la contrefaçon.
• Si, dans les six mois qui suivent, un nouveau téléchargement
est signalé, la HADOPI peut envoyer un second courriel,
accompagné d’une lettre recommandée.
• Si, dans l’année qui suit, un nouveau téléchargement est
signalé, la HADOPI avertit l’abonné par lettre recommandé
que ces faits sont susceptibles de poursuites pénales.
• La HADOPI peut alors transmettre le dossier au procureur
pour jugement au tribunal. L’abonné encourt une amende
de 1 500 euros.
• Une peine complémentaire de suspension de l’accès à Internet,
d’une durée maximale d’un mois, avait été instaurée en
2010. Très critiquée, puisqu’elle privait l’abonné de son
droit d’accès aux informations et aux services, et qu’elle
pénalisait également les autres membres de son foyer, elle a
été supprimée en 2013.
Lors de chacune des étapes de la réponse graduée, l’abonné
peut envoyer à la HADOPI ses observations par courriel ou
par courrier (un formulaire est disponible sur le site web de la
HADOPI).
Cette peine de suspension d’accès n’avait été prononcée qu’une seule fois, en mai 2013,
envers un internaute condamné par un tribunal de Seine-Saint-Denis à 600 euros
d’amende et à 15 jours de suspension. Toutefois, cette suspension de 15 jours n’a finalement
pas été mise en oeuvre, le décret supprimant cette peine ayant été publié entre-temps.
Finalement, aucun internaute n’a donc subi de coupure d’Internet.
136 •Loi et Internet
Fin 2012, le gouvernement a lancé une mission pour étudier
les évolutions possibles de la loi sur le téléchargement illégal et
un éventuel rapprochement entre la HADOPI et le Conseil
supérieur de l’audiovisuel.
Les logiciels, sites web et
bases de données
Le Code de la propriété intellectuelle a prévu le cas des logiciels,
sites web et bases de données, qui sont des oeuvres
numériques. On a vu plus haut que les logiciels étaient compris
dans la liste des oeuvres de l’esprit figurant à
l’article L112-2. L’article L112-3 ajoute qu’il « en est de
même des […] bases de données, qui, par le choix ou la dispo-
BILAN HADOPI 2010-2012
Au 1er juillet 2012, la HADOPI avait identifié 3 millions d’adresses IP ayant servi à du
téléchargement illicite. Elle avait envoyé 1 150 000 courriels de première recommandation,
100 000 de seconde recommandation et 340 dossiers avaient été examinés en troisième
phase. Selon la HADOPI, les trois quarts des personnes mises en cause la
contactent à ce stade. D’après les exemples donnés par la HADOPI, si l’abonné, après
avoir reçu des explications, s’engage à ne plus opérer de téléchargement illicite et s’il
tient son engagement, la HADOPI ne transfère pas le dossier au tribunal. En revanche, si
l’abonné persiste à utiliser du P2P, en téléchargement ou en mise à disposition, pour des
oeuvres dont il ne détient pas les droits, la HADOPI transfère le dossier au tribunal.
14 dossiers ont ainsi été transmis au parquet en 2012. À la fin de 2012, seules trois personnes
ont été jugées : l’une a été relaxée, l’autre a subi une condamnation sans peine
et la troisième s’est vu infliger 150 euros d’amende. Son épouse avait installé un logiciel
de P2P qui se déclenchait à chaque démarrage de l’ordinateur et qui mettait à disposition
deux titres musicaux qu’elle avait téléchargés : la HADOPI avait ainsi relevé des centaines
de mises à disposition pour ces deux titres. Et une personne a été condamnée en
2013 à 600 euros d’amende et à 15 jours de suspension d’Internet, cette dernière
mesure n’ayant pas été mise en oeuvre.
Les droits d’auteur • 137
sition des matières, constituent des créations intellectuelles.
On entend par base de données un recueil d’oeuvres, de données
ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière
systématique ou méthodique, et individuellement accessibles
par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ».
Le CPI ne précise pas explicitement que pour bénéficier de la
protection du droit d’auteur, le logiciel doit présenter un caractère
d’originalité, mais cette condition a été ajoutée par la jurisprudence.
La Cour de cassation ainsi indiqué dans son arrêt
Pachot du 7 mars 1986 que pour revendiquer le droit d’auteur,
le créateur du logiciel doit avoir « fait preuve d’un effort personnalisé
allant au-delà de la simple mise en oeuvre d’une logique
automatique et contraignante et que la matérialisation de cet
effort résidait dans une structure individualisée » qui porte « la
marque de son apport intellectuel ».
La Cour a confirmé sa position le 17 octobre 2012 en expliquant
que pour démontrer cette originalité, il fallait montrer
« en quoi les choix opérés témoignaient d’un apport intellectuel
propre et d’un effort personnalisé de celui qui avait élaboré le
logiciel litigieux, seuls de nature à lui conférer le caractère d’une
oeuvre originale protégée, comme telle, par le droit d’auteur ».
La condition d’originalité entre ainsi dans le droit prétorien.
DÉTAIL Le cas des auteurs salariés
Lorsqu’un salarié d’une société (ou d’un organisme public) crée un logiciel ou un site web
dans le cadre de sa mission, les droits d’auteur reviennent-ils au salarié ou à sa société ?
Les droits moraux reviennent au salarié, mais pour les droits patrimoniaux,
l’article L113-9 du CPI prévoit que « sauf dispositions statutaires ou stipulations
contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou
plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur
employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».
138 •Loi et Internet
Lorsque plusieurs personnes ont concouru à la création de
l’oeuvre, il sera nécessaire de préciser l’apport de chacun en cas
de litige sur la répartition des droits.
Le droit d’exploitation d’un logiciel, qui fait partie des droits
patrimoniaux, comprend le droit d’effectuer et d’autoriser
(article L122-6) :
• la reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en
tout ou partie, par tout moyen et sous toute forme ;
DÉFINITION Le droit prétorien
Comme on l’a déjà vu, le droit prétorien rassemble des dispositions qui ne figurent pas
dans la loi, mais qui résultent des jurisprudences retenues par les tribunaux, lesquelles
finissent par « prendre force de loi », en l’absence justement d’une loi sur le sujet. Parmi
les créations prétoriennes les plus connues, citons le devoir d’information et de conseil de
la banque, ou de l’agent immobilier.
Un droit prétorien développé et confirmé par la Cour de cassation, comme c’est le cas ici,
a plus de valeur que celui créé par les simples tribunaux de première instance, car il
s’impose à tous.
JURISPRUDENCE La paternité d’un logiciel
La Cour d’appel de Paris a débouté le 27 février 2013 une personne qui revendiquait la
qualité de co-auteur sur un logiciel développé par une société qu’elle avait créée avec
des associés, mais qu’elle avait quittée. La Cour a noté que c’est un de ses collègues qui,
depuis l’origine, était désigné publiquement comme l’auteur du logiciel et qui était cité
comme tel dans tous les documents. Ce collègue bénéficiait dès lors d’une présomption
de qualité d’auteur que seules des preuves indiscutables auraient permis de renverser.
Or, le plaignant ne disposait pas de telles preuves permettant d’évaluer l’importance de
sa participation à l’élaboration du logiciel.
Il est donc indispensable, si l’on souhaite pouvoir revendiquer des droits sur l’élaboration
d’un logiciel ou d’un site web, de constituer des preuves de sa participation, au besoin
par voie d’huissier.
Les droits d’auteur • 139
• la traduction ou toute adaptation du logiciel ;
• la vente, la distribution gratuite ou la location de ce logiciel.
Toutefois, l’autorisation de l’auteur n’est pas nécessaire pour
permettre l’utilisation du logiciel ou la correction de ses
erreurs par une personne ayant le droit de l’utiliser, sauf si le
contrat d’utilisation le stipule différemment.
L’utilisateur a également le droit de faire une copie de sauvegarde
(article L122-6-1).
La personne ayant le droit d’utiliser le logiciel peut également,
sans autorisation de l’auteur, observer et tester le logiciel pour
en déterminer les principes.
L’utilisateur a également le droit d’accéder au code du logiciel
sans autorisation de l’auteur si cela est indispensable pour
assurer l’interopérabilité avec d’autres logiciels, aux conditions
que les informations nécessaires à l’interopérabilité ne soient
pas déjà disponibles, et que cet acte se limite aux parties du
logiciel concernées par cette interopérabilité.
Enfin, le Code de la propriété intellectuelle rappelle
(article L122-6-2) que l’utilisation illicite des moyens de supprimer
ou de contourner les dispositifs techniques protégeant
un logiciel constitue une contrefaçon. La publicité ou la
notice d’utilisation de ces moyens (en vue de leurs usages
licites !) doit porter mention de ce rappel.
PRÉCISION La limite du droit d’observation
Le droit d’observation du logiciel (ou de « rétro-ingénierie ») ne signifie évidemment pas
que l’utilisateur a le droit de rédiger un programme similaire : cela deviendrait de la
contrefaçon !
140 •Loi et Internet
Revente de logiciels d’occasion
Le 3 juillet 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a
indiqué que l’auteur d’un logiciel ne pouvait empêcher, au
nom de son droit de contrôle sur les reproductions, la revente
d’occasion d’une licence d’utilisation de ce logiciel. Si l’auteur
a déjà été rémunéré lors de la vente initiale pour une utilisation
sans limitation de durée, il ne peut s’opposer à la revente
de ce droit d’utilisation et ne peut prétendre à une nouvelle
rémunération. La Cour a donc précisé qu’il était tout à fait
légal de revendre une licence, que le logiciel soit sur un support
physique ou téléchargé sur Internet. Dans ce dernier cas,
l’auteur du logiciel ne peut s’opposer au nouveau téléchargement.
Évidemment, l’utilisateur initial qui revend sa licence
doit désinstaller le programme chez lui.
Vente liée de l’ordinateur et du système d’exploitation
De manière générale, il est interdit dans le commerce de procéder
à une « vente liée », c’est-à-dire de conditionner la vente
d’un produit à l’achat d’un autre produit (article L122-1 du
Code de la consommation). Toutefois, ce principe connaît
des exceptions pour motif légitime : par exemple, l’achat
d’une voiture implique l’achat des freins qui sont montés
dessus et personne n’aurait l’idée de revendiquer la possibilité
d’acheter séparément la voiture et les freins.
Pour l’informatique, la question s’est longtemps posée de
savoir s’il était légitime de vendre obligatoirement un ordinateur
avec un système d’exploitation, par exemple Windows,
obligeant ainsi le client à acheter ce système même s’il en
aurait préféré un autre (Linux par exemple). Plusieurs clients
ont attaqué les constructeurs informatiques ou les distributeurs
pour se faire rembourser le système dont ils ne voulaient
pas et pour les faire condamner pour vente liée ou pour pratique
déloyale.
Les droits d’auteur • 141
Faute de texte précis sur ce sujet, de nombreuses jurisprudences
ont conduit à reconnaître que la vente d’un ordinateur
« nu », sans système d’exploitation, nécessite des manipulations
d’installation délicates qui conduisent à la réserver à des utilisateurs
avertis, professionnels ou experts en informatique. Pour
le grand public, la vente liée de l’ordinateur et du système est
plus sécurisante et est donc admise. Toutefois, l’acheteur grand
public doit avoir la possibilité d’acheter un PC « nu » ou de se
faire rembourser le système vendu avec l’ordinateur.
En pratique, les procédures de remboursement et de désinstallation,
quand elles sont proposées, sont souvent rédhibitoires
(nécessitant par exemple le renvoi de l’ordinateur au constructeur
pour désinstallation). Plusieurs constructeurs ont été
condamnés ces dernières années à rembourser les licences et à
payer quelques centaines euros de dommages-intérêts aux
acheteurs. D’autres procès sont en cours, intentés par des particuliers
ou par des associations de consommateurs, pour faire
préciser les droits du client.
Comment protéger les droits sur un site web ?
Un site web est une oeuvre de l’esprit et bénéficie donc des
protections prévues par le CPI s’il présente les qualités d’originalité
requises. A contrario, s’il se limite au remplissage de
rubriques (par exemple un profil Facebook), le manque d’originalité
interdit de lui accorder le statut d’oeuvre.
Si le site contient des bases de données, celles-ci sont également
protégées.
Si le site web est conçu et développé par la même personne, il
n’y a pas de difficulté à en désigner l’auteur. Les choses sont
Voir entre autres l’initiative Racketiciel, de l’Association Francophone des Utilisateurs de
Logiciels libres (AFUL), dont la pétition compte près de 40 000 signataires.
142 •Loi et Internet
plus compliquées lorsque plusieurs personnes ont collaboré à
sa création.
Dans le cas où le site incorpore des images, textes ou éléments
multimédias développés par d’autres personnes, l’autorisation
de chacun des titulaires des droits sur ces éléments doit avoir
été obtenue.
Le nom de domaine
Pour accéder à un site web, celui-ci doit avoir un nom de
domaine de la forme www.ledomaine.fr (ou www.ledomaine.com, ou toute
autre extension).
JURISPRUDENCE Le cas des sous-traitants
Lorsque la création d’un site web est sous-traitée à un prestataire, si le commanditaire se
borne à passer une commande d’ordre général, sans donner « des indications précises
sur la présentation des différentes pages et l’agencement des éléments qui les composent,
sur le graphisme, l’animation ou l’arborescence favorisant la consultation d’un
site » et si c’est le prestataire qui prend l’initiative de cette création, alors le prestataire
est considéré comme l’auteur du site web. Son client bénéficie évidemment d’un droit
d’exploitation, mais le prestataire auteur conserve les droits moraux, et notamment le
droit de voir son nom demeurer sur le site même dans le cas où le client change ultérieurement
d’hébergeur.
Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a reconnu le 10 novembre 2011 les droits
d’auteur d’un prestataire qui avait développé et hébergé un site pour un client. Ce dernier
avait ensuite transféré le site chez un prestataire concurrent, qui l’avait conservé
tout en substituant son nom à celui du créateur, ce qui constituait une contrefaçon. Le
client a été condamné à verser 3 000 € au prestataire auteur du site, en réparation du
préjudice subi et le nouveau prestataire a été condamné à lui verser 8 000 € pour
concurrence déloyale.
Les droits d’auteur • 143
Chacun peut créer et acheter un nom de domaine pour son
site web. Cette opération s’effectue auprès de prestataires
appelés registrars, qui vendent les noms de domaine ainsi que
différents services annexes (hébergement de sites, serveur de
messagerie, adresses mail liées au nom de domaine…). L’achat
d’un nom de domaine se fait généralement pour la durée
d’une année, renouvelable. Le prix varie selon les extensions
(.fr, .com, .org…) et selon les prestations annexes proposées par le
registrar ; cela est accessible à partir d’une quinzaine d’euros
par an, donc à la portée de chacun.
Comme les noms de domaine ne peuvent exister qu’une seule
fois au niveau mondial, leur attribution se fait selon la règle du
premier arrivé, premier servi. Il y a toutefois quelques
limitations : certains mots sont par exemple interdits car
réservés techniquement par le système. D’autres noms ne
peuvent être réservés que par certaines catégories de clients
(noms de sociétés par exemple).
Le Code des postes et des communications électroniques prévoit
(article L45-2) que l’enregistrement d’un nom de
domaine peut être refusé si celui-ci est contraire à l’ordre
public ou aux bonnes moeurs, s’il porte atteinte à la propriété
intellectuelle d’un tiers (s’il correspond par exemple à une
marque enregistrée par ce tiers), ou s’il est similaire au nom de
l’État, d’une collectivité territoriale, ou d’un organisme
public. Le nom de domaine ne doit pas non plus porter
TECHNIQUE L’adresse URL
En fait, l’adresse d’une page web consiste en une suite de chiffres de la forme 127.0.0.1,
qui détermine exactement le serveur sur lequel se trouve cette page. Pour des raisons
d’ergonomie, il est plus facile de se souvenir d’une adresse de la forme monsite.com que
de la forme 318.25.69.33. Internet propose donc des noms de domaine, qui se superposent
aux adresses de base. Les serveurs du réseau internet savent traduire les noms de
domaine en adresses exactes.
144 •Loi et Internet
atteinte aux droits de la personnalité d’un tiers, par exemple
reprendre le nom patronymique de ce tiers.
Ces dernières dispositions visent à mettre un terme à la pratique
du cybersquatting, c’est-à-dire au fait de réserver un site
correspondant au nom d’un tiers, soit pour gêner ce dernier
(s’il s’agit d’un adversaire politique ou d’un concurrent commercial),
soit dans l’objectif lucratif de lui revendre le
domaine à un prix élevé.
Condamnation pour enregistrement d’un domaine au
nom d’un concurrent
En mars 2008, le candidat à la mairie de Cancale a été
condamné par le tribunal de grande instance de Saint-Malo
pour avoir déposé un nom de domaine correspondant au nom
de son adversaire aux élections. Ce candidat a été condamné à
verser 5 000 euros de dommages-intérêts à son adversaire et à
lui rembourser 2 000 euros de frais de justice.
Contrairement au nom, le prénom n’ouvre aucun droit
En 2001, le fils de Milka Budimir offrait à sa mère, qui exploitait
un établissement de couturière en province, à l’enseigne
Milka Couture, le nom de domaine milka.fr.
En 2002, la société Kraft Foods, propriétaire de la marque de
chocolat Milka, a demandé à Mme Budimir d’arrêter
l’exploitation de ce nom de domaine et de le lui transférer.
Faute d’accord amiable, Kraft Foods a porté l’affaire en justice.
Le 27 avril 2006, la Cour d’appel de Versailles a précisé « qu’à
la différence du nom patronymique, le prénom ne confère
aucun droit privatif à son titulaire sauf […] à démontrer
qu’elle a acquis une certaine célébrité sous ce prénom ».
Même s’il n’existait aucune confusion possible dans l’esprit du
public entre les chocolats de Kraft Foods et les services purement
locaux de la « petite couturière de la Drôme », le simple
fait d’utiliser le nom de domaine milka.fr constituait une exploiLes
droits d’auteur • 145
tation injustifiée de la marque déposée Milka. La Cour a donc
confirmé le jugement de première instance, qui décidait « que
le transfert sans frais à la société Kraft Foods du nom de
domaine milka.fr constituait une exacte réparation du préjudice
par elle subi en raison de cette exploitation ». Le nom de
domaine est donc revenu au groupe agro-alimentaire.
Condamnation pour cybersquatting
Deux jours après la publication d’un communiqué de presse
du groupe NRJ, propriétaire de la radio Chérie FM, annonçant
le lancement de la chaîne Chérie HD (haute définition),
un particulier a acheté les noms de domaine cherihd.net, cherie-hd.com,
cherie-hd.net, cheriehd.fr et cherie-hd.fr. Il a aiguillé ces noms de domaine
vers un site web comportant des liens publicitaires vers des
produits et services similaires à ceux de Chérie FM et a mis en
vente ces noms de domaine sur un site d’enchères.
Le 28 juin 2012, le tribunal de grande instance de Nanterre a
estimé que ces faits caractérisaient la contrefaçon de la marque
Chérie FM et a condamné le contrefacteur à verser
6 000 euros de dommages–intérêts à Chérie FM, ainsi que
3 000 euros de frais de justice.
Un nom de domaine trop peu original n’est pas protégé
Deux jurisprudences ont rappelé en 2013 que pour être protégé
par le droit de la propriété intellectuelle et de la concurrence,
un nom de domaine doit revêtir un caractère distinctif
et original. Il ne doit pas se borner à décrire l’activité de son
titulaire. Ainsi, la Cour d’appel de Bastia a débouté le
20 mars 2013 les propriétaires du domaine mariagesencorse.com,
organisateurs de mariages, qui se plaignaient de la concurrence
déloyale du site concurrent mariageencorse.com. La Cour a
jugé que le nom mariagesencorse était trop générique et trop descriptif
pour pouvoir revendiquer une protection.
146 •Loi et Internet
De même, le tribunal de commerce de Paris a débouté le
24 mai 2013 la société de pompes funèbres titulaire du nom
de domaine e-obseques.fr, qui se plaignait de la concurrence des
services funéraires de la Ville de Paris avec le domaine iobseques.
fr. Le tribunal a noté qu’en choisissant un nom de
domaine descriptif, la société avait cherché à faire des économies
et avait « évité les investissements indispensables pour
donner une notoriété propre à une adresse internet » ; protéger
un nom aussi peu original reviendrait à créer un monopole
sur un terme descriptif.